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Note de la traductrice

Andrea Camilleri écrit dans un italien enrichi de termes siciliens, drôles et savoureux. Souvent, le lecteur non sicilien ne comprendrait pas ces mots en dehors du contexte où Camilleri sait les placer pour les rendre compréhensibles.
La présente traduction française s’efforce de rendre cette variété linguistique – et le dépaysement qu’elle crée – en faisant appel à un parler régional qui offre des tournures de phrase inhabituelles et dont le lecteur curieux trouvera le glossaire en fin de volume.
Tout a été fait néanmoins pour que le elcteur de la traduction française, comme c’est le cas pour le lecteur de l’original italien, puisse se passer de ces éclaircissements annexes.

Dominique Vittoz

 

Nota della traduttrice

Andrea Camilleri scrive in un italiano arricchito di termini siciliani, divertenti e gustosi. Spesso, il lettore non siciliano non comprenderebbe queste parole al di fuori del contesto in cui Camilleri sa piazzarli per renderli comprensibili.
Questa traduzione francese si sforza di rendere questa varietà linguistica- e il disorientamento che essa crea- ricorrendo ad una parlata regionale che offre delle costruzioni di frase insolite e di cui il lettore curioso troverà il glossario alla fine del volume.
Tutto è stato fatto affinché il lettore della traduzione francese, come pure il lettore dell’originale italiano, possa fare a meno di questi chiarimenti annessi.


La langue jubilatoire d'Andrea Camilleri

Postface de Dominique Vittoz à La saison de la chasse (Fayard, 2001)

Enfin, disons un mot de la situation qui est celle de l'écrivain traduit. Être traduit n'est pas un travail [...], c'est une semi-passivité semblable à celle du patient sur le lit du chirurgien ou le divan du psychanalyste, riche toutefois d'émotions violentes et opposées. Devant une de ses pages traduite dans une langue qu'il connaît, l'auteur se sent tour à tour, ou tout à la fois, flatté, trahi, ennobli, radiographié, castré, aplati, violé, enjolivé, tué. Il reste rarement indifférent devant le traducteur, connu ou inconnu, qui a mis le nez et les mains dans ses tripes : il lui enverrait volontiers, tour à tour, ou tout à la fois, son cœur dûment emballé, un chèque, une couronne de lauriers ou une provocation en duel.

Primo Levi, «Traduire et être traduit»,

in le Métier des autres

En 1994, avec la Forme de l'eau, son premier roman policier de la série des Montalbano, Andrea Camilleri conquérait en Italie un vaste public. Depuis, sa popularité n'a cessé de croître à chaque épisode des enquêtes du commissaire de Vigàta1. Et l'engouement du public s'est étendu aux autres livres de Camilleri, les romans qu'il situe à la fin du XIXe siècle, toujours dans la meme bourgade sicilienne de Vigàta où opère notre contemporain Montalbano. Comme la Saison de la chasse publié en ltalie en 1992, ce sont des récits qui s'inspirent de documents d'archives ou d'événements de l'histoire locale2. Deux genres différents, deux époques distantes d'un siècle, deux veines distinctes, mais le coup de patte est le même. Indépendamment des intrigues et des personnages, ce que ses lecteurs italiens aiment à retrouver dans tous les livres de Camilleri, c'est la langue particulière qu'il utilise, un mélange d'italien et de dialecte sicilien qui n'appartient qu'à lui. En Italie, un tel jeu linguistique est possible, et apprécié, car le plurilinguisme y est resté une réalité très répandue. Et Camilleri, en le pratiquant à sa façon, s'inscrit dans une longue tradition littéraire.

La difficile codification de la langue nationale en ltalie

Quand le latin céda le terrain aux parlers dits vulgaires, apparut la littérature italienne. Au fil des siècles et non sans débats savants, les écrivains de la Péninsule, politiquement morcelée, cultivèrent et développèrent une langue nationale, par définition écrite et non orale, héritée des trois grands maîtres toscans du XIVe siècle, Dante, Pétrarque et Boccace. La conquête, puis la construction d'un État national à la fin du XIXe siècle, ainsi que, au siècle suivant, l'entrée dans l'ère de la communication, auront partie étroitement liée avec l'homogénéisation linguistique dont les enjeux sont patriotiques et identitaires. Dans la deuxième moitié du xxe siècle, non seulement l'italien littéraire est devenu une réalité sur laquelle on ne s'interroge plus, mais, médias obligent, les langues régionales commencent à perdre du terrain même dans la pratique orale.
Ces langues régionales avaient pourtant gardé une place considérable. Et preuve en est que, des trois volumes de l'imposante Histoire de la langue italienne qu'Alberto Asor Rosa a récemment dirigée chez Einaudi, c'est encore celui intitulé les Autres Langues (entendre : autres que l'italien littéraire codifié) qui est le plus fourni3. En effet, tandis que l'italien se fixait à travers une tradition littéraire exigeante et élitiste, les pratiques culturelles en ltalie débordaient largement ce cadre unificateur qui était surtout écrit, entretenant, dans des domaines d'expression où l'oralité joue un rôle important, toute la diversité et la richesse des dialectes. C'est le cas des chansons, des contes (Giambattista Basile écrit en napolitain le premier recueil de fables européen, le Cunto de li cunti4), de la poésie (Carlo Porta écrit en milanais et Giuseppe Gioacruno Belli en romain), du théâtre, avec des comédies soit entièrement en dialecte, comme celles de Ruzante, originaire de Padoue, soit comportant une caractérisation régionale des personnages type, qui passe par l'emploi de différents parlers, comme le bergamasque pour le rôle du médecin. Pirandello écrivit encore des pièces entièrement en sicilien5.
Les écrivains peuvent utiliser leur parler régional de façon «pure», comme langue à part entière, mais dont l'aire de réception est, sauf exception, limitée, ou bien l'employer en même temps que l'italien, et éventuellement que d'autres dialectes, pour obtenir l'effet de contamination déjà présent dans la typologie régionale des personnages de la commedia dell'arte. Au XVe siècle, la littérature dite macaronique, florissante à Padoue, introduit un lexique dialectal, senti comme populaire, dans une syntaxe académique, calquée sur le modèle latin, provoquant des effets désopilants et grotesques. Traditionnellement comique dès l' Antiquité, la pratique du mélange des registres, ici des parlers, n'est pas balayée par l'élan unificateur du XIXe siècle. On la trouve par exemple dans l'œuvre multiforme du Napolitain Vittorio Imbriani qui, on ne s'en étonnera pas, était aussi fo1kloriste et spécialiste de l'œuvre de son concitoyen Basile, dans la production non moins multiforme du Lombard Carlo Dossi, dans les nouvelles et récits de voyage du Piémontais Giovanni Faldella, ou encore dans l' œuvre de Remigio Zena qui sollicite le dialecte de Ligurie.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, à côté d'une majorité d'écrivains qui, soit n'utilisent jamais les dialectes, soit n'y recourent que dans une mesure infime, généralement dans un but strictement mimétique, un peu «couleur locale» - et on pense à des auteurs bien connus en France comme Italo Calvino, Dino Buzzati, Alberto Moravia, Leonardo Sciascia -, on trouve un certain nombre d'auteurs, et non des moindres, que l'italien, senti comme standardisé, gêne aux entournures et qui intègrent librement dans la langue commune, un dialecte, parfois plusieurs. Le plus connu, et sans doute le plus débridé, est Carlo Emilio Gadda, Lombard installé à Rome, dont l'italien regorge de latinismes, néologismes, termes techniques, et bien sûr, formes dialectales, triturés, compressés, emmelés comme dans un pasticcio, terme qui donne son titre à son roman le plus célèbre et qui signifie en même temps chausson de viande (donc hachis et farce), imbroglio et mystère, pétrin et ennuis, pot-pourri et composition musicale écrite à plusieurs mains6. Dans ces mêmes années cinquante, le Milanais Giovanni Testori emploie lui aussi un mélange de langue et dialecte dans le cycle des Mystères de Milan, dont le premier volet, le recueil de nouvelles le Pont de la Ghisolfa publié en 1958, devient à 1'écran le célèbre Rocco et ses frères7. Pier Paolo Pasolini, Frioulan installé à Rome, introduit largement le dialecte romain dans ses romans comme dans ses films8. Plus tard, le prix Nobel de littérature Dario Fo renoue, dans son théâtre de satire politique, avec les traditions orales dialectales. Luigi Meneghello reconstruit son coin de Vénétie en sollicitant largement le parler de sa ville, Malo9. C'est tout le travail d'écriture de Vincenzo Consolo, Sicilien comme Camilleri, qui s'alimente à une recherche aussi docte qu'évocatrice d'un lexique enfoui dans les mémoires et les grimoires, donnant naissance à des romans où le mystère des mots intensifie le vertige du récit10. Chez Luigi Malerba, le comique est servi par une étourdissante polyphonie linguistique dont Roger Salomon a donné en français une traduction-adaptation qui sert brillamment le pari de la liberté créatrice du traducteur11. Et quand l'Émilien Francesco Guccini entre en littérature, il puise allègrement dans son dialecte, réservoir de sonorités particulièrement séduisant pour le musicien qu'il estl2. Enfin, dans la nouvelle génération, de jeunes et brillants auteurs jouent eux aussi cette alliance inventive entre langue et dialecte, comme la Lombarde Laura Pariani, qui prend le risque d'une langue à la fois archàïsante et mêlée de dialecte13, ou le Sarde Sergio Atzeni dont la prose, sertie de mots latins, espagnols et sardes joue simultanément sur la polyphonie des résonances linguistiques et historiques et sur l' entrecroisement des points de vue narratifs14, ou encore Marcello Fois, un autre écrivain sarde aux dosages d' orfèvre pour qui le recours ponctuel à des termes ou des phrases en dialecte (sarde en général, mais aussi romain dans Sheol15) s'inscrit dans une recherche identitaire résolument non nostalgique ni folklorique, où l'introspection et la mémoire sont mises au service d'un avenir à conquérir et à maîtriser16.

Les jeux linguistiques d'Andrea Camilleri

D'une île à l'autre... C'est à Andrea Camilleri que Fois demande une préface pour son Sempre caro, le premier livre de la tétralogie qu'il consacre à la Nuoro de la fin du XIXe siècle, reconnaissant peut-être là une dette envers celui qui a conquis un immense public avec des livres, à la première approche, difficiles à comprendre. Rappelons que pour publier Un filo di fumo, le deuxième roman de Camilleri, l'éditeur Livio Garzanti demanda à l'auteur de rédiger un glossaire des mots de dialecte qu'il y avait employés17. C'est dire les craintes de l'éditeur, inversement proportionnelles à la confiance qu'en revanche l'auteur plaçait dans les lecteurs, à qui il demandait de faire l'effort d'entrer dans une langue ponctuellement incompréhensible, mais qui, à l'usage, par le jeu du contexre et des situations, s'éclaire peu à peu pour devenir familière dans toute son étrangeté. La récompense pour le lecteur est d'entrer ainsi dans une complicité réelle avec l'auteur qui, au fil des pages, lui donne les clefs d'un parler local dont il peut alors savourer l'expressivité. Mais surtout, en découvrant ces mots et expressions spécifiques, le lecteur pénètre par la bonne porte dans le microcosme humain dont ils expriment les valeurs, les angoisses, les espoirs, les joies, la sagesse et la folie. Le particularisme linguistique ainsi utilisé est une défense contre les incompréhensions, les stéréotypes et les manipulations qu'engendre l'usage exclusif d'une langue venue de l'extérieur, comme ce fut le cas de l'italien au siècle dernier pour tous les Siciliens qui ne possédaient pas un certain degré d'instruction.
La démarche de Camilleri n'est donc pas d'écrire en dialecte pur, de s'enfermer dans un horizon étroitement local, mais de puiser en toute liberté dans le réservoir dialectal pour faire entrer et vivre dans la langue italienne des notions, des comportements, des codes sociaux, des goûts, des objets qui appartiennent à la réalité et à la culture du coin de Sicile où il est né et où il a grandi, Porto Empedocle. Il ne prétend ni au purisme linguistique ni à l'exactitude archéologique. Comme l'illustre leJeu de la mouche, le recueil de dictons et expressions imagées qu'il a rédigé avec une évidente gourmandise, Camilleri suit une logique affective et jubilatoire selon laquelle les bonnes expressions ne sont pas celles qu'autorise quelque dictionnaire, mais celles qui tirent leur attestation d'une situation vécue, de personnes bien réelles, humbles ou célèbres, dont l'expérience, les souffrances et les joies deviennent patrimoine linguistique d'une communauté humaine. Certaines de ces expressions proverbiales sont présentes dans la Saison de la chasse et elles prennent toute leur saveur à la lumière des informations, parfois directement autobiographiques, que Camilleri donne pour chacune d'elles18. Dans la narration comme dans les dialogues, Camilleri introduit de nombreux termes siciliens, parfois très reconnaissables (picciliddo, pour enfant ou fimmina, pour femme), ou aisément compréhensibles (nìvuro, noir, ou armalo, animal), mais le plus souvent incompréhensibles hors de leur contexte (furiare, se moquer, ou camurria, désagrément extrême). Il puise dans un lexique dérivé d'activités professionnelles spécifiques, liées à la mer ou à la terre (farlacca, pont mobile de corde et planches, ou timpa, motte de terre). Certains termes correspondent à des déformations locales de mots italiens (astrèco pour austriaco, autrichien) ou étrangers, surtout américains (piscipàino pour pitchpin). L'emploi de formes inhabituelles comporte le danger des faux amis : taliare signifie regarder et non couper (qui en italien se dit tagliare); tanticchia signifie un peu et non beaucoup (qui en italien se dit tanto); sintomo signifie évanouissement et non symptôme, ce qui est son sens en italien. Enfin, Camilleri dose l'intensité même des mots de dialecte utilisés en les employant, soit dans leur forme phonétique sicilienne pure et dure (c'est le cas dans les dialogues), plutôt pour les répliques des personnages de couche sociale plus humble : iddu pour esso, le pronom sujet de la troisième personne du masculin singulier; u pour il, l'article défini masculin singulier; Pirchì pour perché, parce que, soit dans une forme phonétiquement adoucie, italianisée : l'adjectif càvudu (chaud) est italianisé en càvudo (avec le o final caractéristique du masculin singulier en italien); l'infinitif spiari (demander) est italianisé en spiare et ainsi pour les autres verbes du premier groupe; le verbe arrisbigghiari (réveiller) est italianisé en arrisbigliare. Quant à la syntaxe, Camilleri calque parfois la phrase sicilienne en renvoyant le verbe à la fin et il emploie massivement le passé simple, selon une pratique répandue dans tout le sud de l'Italie.
Pour permettre au lecteur de le suivre, Camilleri recourt à plusieurs astuces: glisser dans le paragraphe un synonyme italien du mot dialectal employé un peu plus haut, placer le mot dialectal dans un contexte parfaitement éclairant, recourir souvent aux mêmes termes dialectaux que la diversité et la fréquence des contextes vont éclairer, enfin, plus rarement, faire intervenir dans la conversation en dialecte un personnage non sicilien qui demande carrément une explication dont le lecteur profitera à son tour.

Quel français pour cet italien-là?

Dans ma recherche d'une solution pour rendre en français ce mélange de langues, j'ai procédé par élimination. L'hypothèse de recourir à l'argot, qui peut se prévaloir d'une tradition littéraire, n'était pas recevable car j'aurais opéré ainsi une uniformisation sociologique indue. Le recours à différents niveaux de langue et l'emploi intensif d'expressions imagées, parfois rares et donc surprenantes ou drôles, m'avaient permis de ne pas trop trahir la polyphonie de la Concession du téléphone, le roman de Camilleri que j’avais précédemment traduit. Mais ce qui pouvait suffire pour ce livre sans narrateur, où les personnages s'expriment toujours en style direct, par lettre ou dans des dialogues dépourvus de toute didascalie, donc en restant sur un seul registre à la fois, ne suffisait plus pour traduire l'hybridation entre italien et sicilien à l'oœuvre dans la Saison de la chasse, comme dans la plupart des livres de Camilleri. Il fallait donc essayer de reproduire ce croisement entre une langue sentie comme la norme dominante, fixée et codifiée, élégante et admirée et un parler non officiel, non universel, fortement expressif et parfois même truculent, autorisé de sa seule tradition, mais suffisamment riche et inhabituel pour créer chez le lecteur français le sentiment d'étrangeté familière dont Camilleri régale ses lecteurs italiens. Les parlers du sud de la France, déjà largement employés, surtout dans leurs spécificités phonétiques, pour doubler les films italiens, me paraissaient trop connotés : Pagnol ne serait jamais bien loin de l'esprit du lecteur français, orientant abusivement sa découverte de l'univers de Camilleri.
Le pari alors a été de répéter la démarche de Camilleri, en employant un parler local qui ne soit pas lettre morte pour l'auteur de la traduction afin qu'il devienne parlant même pour le lecteur extérieur à ce microcosme-là. C'est ainsi que j'ai sollicité le parler lyonnais, passé et présent, qui appartient au groupe des dialectes franco-provençaux. Ce français de Lyon possède un vaste lexique et quelques spécificités syntaxiques qui m'ont permis de jouer entre langue française et parler régional, en les mariant avec la désinvolture que je constatais chez Camilleri, tout en observant la même règle : choisir les mots pour leur expressivité, leur spécificité, leur cocasserie, leur irréductible personnalité. Bref, c'était la porte ouverte au libre choix, à la subjectivité, à l'arbitraire, pourra-t-on me reprocher. Ma seule défense est que je n'ai rien inventé ni déformé, j'ai fait revivre des mots qui avaient eu leur place à un moment donné, dans une communauté donnée, qui émaillent encore bien souvent le français tel qu'on le parle à Lyon, et qui suscitent aujourd'hui l'intérêt de spécialistes et de curieux19.
Le lecteur aura déjà compris que je n'ai pas pu réaliser une équivalence systématique, mot pour mot, expression pour expression, entre les emplois du dialecte sicilien dans l'original et ceux du parler lyonnais dans la traduction. Toutefois, dans quelques cas particulièrement heureux, l'équivalence est parfaite: le sicilien taliare (regarder) est rendu par le lyonnais apincher, caruso (enfant) par mami, fùttiri (accomplir l'acte sexuel, pour un homme) par fifrer, strammo (étrange) par bachique, babbiare (plaisanter) par gandoiser, alliffarisi (se pomponner) par se rapapilloter, timbulata (gifle) par plamuse, cato (bassine) par seille, alloccuto (étonné) par couame, intortato (rabougri) par recrénillé, strùmmula (toupie) par fiarde, cacazzi (scories de houille) par grésillons, tirribìlio (remue-ménage) par sicotis, minchia di (saleté de) par sampillerie de, alloppiare (donner de l'opium) par potringuer, essere allocato (perdre la raison) par détrancaner, una pigliata per il sedere (moquerie, tromperie) par une gosse, far nesciri la guàllara (se faire une hernie) par se faire peter la basane, si fici mali a una gamma (il s'est fait mal à la jambe) par il s'est déclaveté une piotte, una troffa (un buisson) par une sévelée, fare una curruta (courir) par pataler, scantato (effrayé) par ébravagé, assammarare (tremper) par benouiller, nze (interjection négative) par vouatt, quadiarsi (se chauffer) par se cafourner, andare nel retré (aller aux toilettes) par prendre faute, mi fa raggia (il m'énerve) par il me fait endéver, scursùni (serpent) par gicle, garrusu (enfoiré) par sampille, et ainsi de suite.
Dans d'autres cas, c'est par un léger glissement de proximité que l'équivalence a lieu20: le sicilien s'arrizzulavano (elles se précipitaient) a été rendu par «elles dévalaient de collagne», «mezzi annegati nel succo di racina» par «moitié gourdés dans le moût», «il padre dà un càvucio nel culo al caruso» par «son père atouse au mami un coup de pied au cul», «ci trasì il sole in testa» par «le soleil lui est entré dans le questin», «le farlacche traballanti» par «les passerelles guenivelantes», «se n'è iuto a spasso» par «il est sorti se bambaner».
A côté de ces équivalences de voisinage, j'ai opéré des équivalences à distance, c'est-à-dire qui s'équilibrent à l'échelle, non plus de la phrase, mais du livre tout entier. Pour les cas où, rencontrant un terme sicilien, je n'ai pas pu le traduire par un terme lyonnais, j'ai essayé de réaliser une compensation, en employant des termes lyonnais à un autre endroit où, dans l'original, il n'y avait pas de terme sicilien. Il me faut préciser toutefois que ce fut moins fréquent que les cas, dont je citerai quelques exemples, d'impuissance à rendre le sicilien. J'ai ainsi introduit le lyonnais rebriquer (répliquer) ou quinchée (cri) alors que Camilleri emploie pour ces notions les termes italiens; j'emploie déclavetée (mise à mal) pour la marquise qui, en italien, est «massacrata»; je traduis «Natale était à plat de lit» quand Camilleri écrit en italien «Natale stava sul letto»; je traduis «la tache d'huile s'éclapa» quand Camilleri écrit en italien «la macchia d'olio si ruppe»; je traduis «s'abousant au sol comme une boge de pommes de terre» quand Camilleri écrit en italien «cadendo a terra come un sacco di patate ». A l'inverse, je n'ai pas su faire mieux que rendre en français «normal» le terme de dérivation espagnole pilaja (plage) que Camilleri emploie au lieu de spiaggia, et la même impuissance m'a frappée devant le verbe spiare (demander) qui revient systématiquement en lieu et place de l'italien chiedere ou domandare, devant trasire (entrer), devant addunarisi (se rendre compte), devant appinnicato (endormi), devant ammàtola (en vain), et d'autres bien sûr. Il m'a aussi souvent fallu renoncer à rendre terme pour terme les légères variantes phonétiques qui affectent un certain nombre de mots : forasteri pour forastiero (étranger), accussì pour così (ainsi), baullo per baule (malle), papore pour vapore (bateau à vapeur), omu pour uomo (homme), quatra pour quadra (correspond), biniditta pour benedetta (bienheureuse), paro pour pari (semblable), ccà pour qua (ici), vestia pour bestia (bête), mia pour me (moi), etc.
Enfin, dernier stade de ce système de compensations et d'équivalences, j'ai quelquefois délibérément rendu une chose pour une autre. En voici deux exemples. Quand Santo La Matina est conseillé dans ses activités horticoles par un oiseau, en sicilien c'est d'une ciàvula (pie) qu'il s'agit. Comme le mot gardé en lyonnais pour pie est celui de l'ancien français, margot, peu dépaysant et fortement connoté, j'ai choisi de le remplacer par un oiseau proche, le corbeau, le graille en lyonnais. Nettie l'Américaine utilise la pharmacie comme une droguerie et veut y acheter une paire de quasette (chaussettes). J'ai remplacé ces chaussettes (dépourvues d'appellation en lyonnais) par un objet proche, en l'occurrence des pantoufles légères, pour lequelles je pouvais en revanche utiliser le terme lyonnais de baraquettes.

Arrêtons là cette visite de la fabrique de la traduction. le lecteur en aura compris le fonctionnement et l'esprit.
Pour ma part, en traduisant ainsi ce roman à la langue plurielle, j'ai suivi la pente du «désir de traduire» dont parle Paul Ricœur, vérifiant avec plaisir qu' il porte en effet à «la découverte de sa propre langue, et de ses ressources laissées en jachère 21».
Puissent ces jachères prospérer aussi heureusement que le jardin enchanté de Santo La Matina et leurs fruits soigner de collagne la stérilité des corps et celle des mémoires...

NOTES

1. Sont disponibles en français, traduits par Serge Quadruppani chez Fleuve noir: la Forme de l'eau (1998), le Chien de faïence et Un mois avec Montalbano (1999), le Voleur de goûter (2000). Les autres titres de cette série, édités par Sellerio, sont: La voce del violino (1997), Gli arancini di Montalbano (1999) et La gita a Tindari (2000).
2. Sont disponibles en français: l'Opéra de Vigàta, traduit par Serge Quadruppani, Métailié, 1999, la Concession du teléphone, traduit par Dominique Victoz, Fayard, 1999, le Coup du cavalier, traduit par Serge Quadruppani, Métailié, 2000. Les autres titres, édités par Sellerio, sont: Il corso delle cose 1978, Un filo di fumo 1980, La strage dimenticata 1984 et La bolla di componenda 1993.
3. Storia della lingua italiana, sous la direction d'Alberto Asor Rosa, Einaudi, 1994. Le premier volume décric les processus et les insticutions par lesquels l'italien s'est codifié, le deuxième est consacré à l'oralité, et le troisième, donc, aux dialectes, argots, langages sectoriels.
4. Giambattista Basile, le Conte des contes ou le divertissement des petits enfants, traduit du napolitain par Françoise Decroisette, Strasbourg, Circé, 1995.
5. Les quatre pièces suivantes furent d'abord écrites en sicilien, puis traduites par Pirandello en italien: Pensaci Giacominu! Liolà, 'A birritta cu' i cancianeddi et 'A giarra. Pour quatre autres de ses pièces originellement écrites en italien, Pirandello donna aussi une version en sicilien. Pour être complet, précisons que quelques-unes de ses pièces écrites en italien furent traduites en d'autres dialectes par différents auteurs (en gênois, en napolitain, en romain, en toscan et en vénitien).
6. Il s'agit d'un roman policier intitulé Quer pasticciaccio brutto de via Merulana, publié d'abord dans la revue Letteratura en 1946-1947, puis en volume en 1957 (l’Affreux Pastis de la rue des Merles, traduit par Louis Bonalumi, Seuil, 1963).
7. Giovanni Testori, les Mysteres de Milan. Le Pont de la Ghiso/fa, traduit par Maurice Javion, Paris, Gallimard, 1961. Ce cycle comporte aussi un roman et du théâtre. Luchino Visconti a tourné Rocco et ses frères en 1960.
8. Pier Paolo Pasolini, Les Ragazzi, traduit par Claude Henry, Paris, UGE, 1983 et Une vie violente, traduit par Michel Breitman, Paris, UGE, 1982. S'inspirant de ces romans, Pasolini réalise Accattone en 1961 et Mamma Roma en 1962.
9. Son premier roman, et le plus célèbre, Libera nos a Malo (qu'on pourrait rendre par Libre Enfants de Malo), publié en 1963, n'est pas traduit en français. On peut lire en revanche Les petits maîtres, traduit par Cristal de Lignac et Helena de Mariassy, Calmann-Lévy, 1965 ainsi que Colin-maillard (titre original: Bau-sete), traduit par Soula Aghion, Le Promeneur, 1991.
10. Presque toute l'œuvre de Vincenzo Consolo est disponible en français: le Sourire du marin inconnu, traduit par Michel Sager et Mario Fusco, Grasset, 1980; L’Unaria, traduit par Brigitte Pérol et Christian Paoloni, Le Promeneur, 1988; le Retable, traduit par Soula Aghion et Brigitte Pérol, Le Promeneur, 1988; la Blessure d'avril et les Pierres de Pantalica, tous deux traduits par Maurice Darmon, Le Promeneur, 1990; D'une maison l'aufre, la nuit durant, traduit de l'italien par Louis Bonalumi, Gallimard, 1994; Ruine immortelle et le Palmier de Palerme, tous deux traduits par Jean-Paul Manganaro, Seuil, 1996 et 2000.
11. De Luigi Malerba, traduit par Roger Salomon chez Fayard, on peut lire en particulier: La Planète bleue (1989) et la Vie d'châtiau (1995).
12. Né en 1940 à Modène, Francesco Guccini est d'abord connu comme auteur-compositeur-interprète, dès les années soixante. Ce n'est que plus tard qu'il se tournera vers la littérature avec en particulier Croniche Epafàniche (Feltrinelli, 1989) et Vacca d'un cane (Feltrinelli, 1993). Son seul ouvrage actuellement disponible en français est un roman policier, écrit à quatre mains avec Loriano Macchiavelli: Macaronì. Roman des saints et des delinquants, traduit par Arlette Lauterbach, Gallimard, 1998.
13. Cette romancière, née en 1951 à Busto Arsizio, n'est pas encore traduite en français. Elle a publié Di corno o d'oro, Sellerio, 1993; Il pettine, Sellerio, 1995; La spada e la luna, Sellerio, 1995; La perfezione degli elastici (e del cinema), Rizzoli, 1997; La signora dei porci, Rizzoli, 1999.
14. Mort accidentellement en 1995, Sergio Atzeni a laissé sept livres dont un seul à ce jour a été traduit en français: le Fils de Bakounine, traduit par Marc Porcu, La Fosse aux Ours, 2000. La même maison d'édition annonce la parution prochaine de l'Apologue du juge bandit, un roman qui se déroule en 1492 et évoque les tensions politiques et morales d'une Sardaigne dominée par les Espagnols.
15. On déplorera l'inexactitude de l'indication portée sur la page de garde de la traduction française de ce roman fantastico-politico-policier, qui laisse entendre que l'original serait écrit en sarde. Or, ce roman qui se déroule à Rome, avec des personnages romains, est écrit en italien "national" et comporte un seul passage en dialecte... romain.
16. Né en 1960 à Nuoro (Sardaigne), Marcello Fois est un auteur déjà affirmé dont on peut lire en français: Sheol, traduit par Catherine Pitiot, Tram'éditions, 1999; Sempre caro, traduit par Serge Quadruppani, Tram'éditions, 1999; Un silence de fer, traduit par Nathalie Bauer, Seuil, 2000; Sang du ciel, traduit par Serge Quaduppani, Tram'éditions, 2000. Sont annoncées les traductions de Meglio morti et de Gap (Seuil).
17. Dans la note d'introduction à ce glossaire qu'il a rédigée pour la réédition de soil roman, presque vingt ans plus tard, Camilleri explique que, d'abord réticent, il finit par s'amuser de ce glossaire. La traduction française de Un filo di fumo est à paraître chez Fayard.
18. Dans la Saison de la chasse, Camilleri emploie six expressions qu'il a jugé bon d'expliquer et de commenter dans le Jeu de la mouche (Mille et une nuits, 2000). Par ordre alphabétique, telles qu'on peut les retrouver dans le Jeu de la mouche, il s'agit de annacato, "bercé traduit ici par le terme de français régional «crossé» (p. 187), chiarchiaro expliqué dans le paragraphe Bacchi-Bacchi, "lieu isolé et rocailleux" (p. 181), la calatina, «la petite descente» (p. 93) qui désigne les aliments qui accompagnent le pain dans les casse-croûte des travailleurs aux champs ou sur les chantiers, la filama, "le fi1 de la calomnie" (p. 173), Fùttiri addritta e camminari na rina, portanu l'omo a la rovina, « Baiser debout et marcher dans le sable mènent un homme à sa perte » traduit ici par "Fifrer debout et marcher dans le sable, ça vous démolit son homme" (p. 98) et Unn'è cosa di spartiricci u pani 'nzemmula, "ce n'est pas un homme avec qui partager son pain ", traduit ici dans le français régional «un particulier avec qui c'écait pas chose de faire que partager son pain» (p. 23). Enfin, l'expression utilisée pour qualifier Harriet, l'épouse de l'oncle Totò, avere faccia e personale di mogliera, "avoir une mine et une allure d'épouse" (p. 151), restait mystérieuse. Comme Camilleri me l'a expliqué, elle renvoie en fait à la situation qu'il a vécue la première fois où il revint à Porto Empedocle avec son épouse. Sachant qu'il travaillait dans le milieu du spectacle,les gens du pays s'attendaient à voir arriver une vamp. Constatant qu'il s'agissait en fait d'une jeune femme comme les autres, ils exprimèrent ainsi leur impression favorable.
19. C'est grâce à ces spécialistes curieux et à ces curieux scrupuleux (Anne-Marie Vurpas, directrice de l'Institut Pierre Gardette à l'Université catholique de Lyon; Gérard Truchet, président de l'association des Amis de Guignol et de Lyon et enseignant de lyonnais; Jacques Picard, maître d'œuvre d'un dictionnaire en ligne lyonnais-français et français-lyonnais accessible à l'adresse suivante: http://perso.club-internet.fr/jpicard/index.html), que je remercie ici pour leur disponibilité, que j'ai pu réactiver et compléter mes connaissances de parler lyonnais. Le lecteur désireux de se documenter, et de se divertir, peut consulter l'ouvrage de référence qu'est le Littré de la Grand'Côte, de Nizier de Puistpelu, paru en 1894 (Lyon, Jean Honoré éditeur, 1990).
20. Pour distinguer les chassés-croisés entre les mots italiens et français d'un côté et les mots siciliens ou lyonnais de l'autre, j'ai suivi comme convention ici d'indiquer en italiques les mots de parler régional.
21. Paul Ricœur, «Le paradigme de la traduction», in Esprit, juin 1999, p. 15. Il s'agit du texte de la leçon d'ouverture que Ricœur a tenue à la faculté de théologie protestante de Paris en octobre 1998.


La lingua esaltante di Andrea Camilleri

Infine, diciamo una parola sulla situazione dello scrittore tradotto. Essere tradotto non è un lavoro [], è una semi passività simile a quella del paziente sul lettino del chirurgo o il divano dello psicoanalista, ricco tuttavia di emozioni violente e opposte. Davanti ad una delle sue pagine tradotta in una lingua che egli conosce, l’autore si sente di volta in volta, o nello stesso tempo, adulato, tradito, nobilitato, radiografato, castrato, appiattito, violentato, abbellito, ucciso. Raramente egli resta indifferente davanti al traduttore, conosciuto o sconosciuto, che ha messo il naso e le mani nelle sue viscere: egli gli manderebbe volentieri, a poco a poco, o nello stesso tempo, il suo cuore debitamente imballato, un assegno, una corona d’alloro o una sfida a duello.

Primo Levi, «Tradurre e essere tradotto»,

in il Mestiere degli altri

Nel 1994, con La forma dell’acqua, il suo primo romanzo poliziesco della serie di Montalbano, Andrea Camilleri conquistava in Italia un vasto pubblico. Da allora, la sua popolarità non ha cessato di crescere ad ogni episodio delle inchieste del commissario di Vigata. E l’entusiasmo del pubblico si è esteso agli altri libri di Camilleri, i romanzi che egli ambienta alla fine del XIX secolo, sempre nella stessa borgata siciliana di Vigata in cui opera il nostro contemporaneo Montalbano. Come la Stagione della caccia pubblicato nel 1992 in Italia, sono dei racconti che si inspirano a documenti d’archivio o avvenimenti di storia locale. Due generi differenti, due epoche lontane un secolo, due vene distinte, ma il tocco è lo stesso. Indipendentemente dagli intrighi e dai personaggi, ciò che i lettori italiani amano trovare nei libri di Camilleri è la lingua particolare che egli utilizza, un misto di italiano e dialetto siciliano che appartiene solo a lui. In Italia, un tale gioco linguistico è possibile, e apprezzato, poiché il plurilinguismo è rimasto una realtà molto diffusa. E Camilleri, praticandola a modo suo, s’inscrive in una lunga tradizione letteraria.

La difficile codificazione della lingua nazionale in Italia

Quando il latino cedette il terreno ai modi di parlare detti volgari, apparve la letteratura italiana. Nel corso dei secoli e non senza sapienti dibattiti, gli scrittori della penisola, politicamente spezzettata, coltivarono e svilupparono una lingua nazionale, per definizione scritta non orale, ereditata dai tre grandi maestri toscani del XIV secolo, Dante, Petrarca e Boccaccio. La conquista, poi la costruzione di uno Stato nazionale alla fine del XIX secolo, come pure , nel secolo seguente, l’ingresso nell’era della comunicazione, saranno strettamente legate all’omogeneizzazione linguistica la cui posta in gioco è patriottica e relativa all’identità. Nella seconda metà del XX secolo, non solo l’italiano letterario è diventato una realtà sulla quale non ci si interroga più, ma, médias obligent, le lingue regionali cominciano a perdere terreno anche nella pratica orale.
Queste lingue regionali avevano pertanto mantenuto un posto considerevole. E prova ne è il fatto che, dei tre volumi dell’imponente Storia della lingua italiana che Alberto Asor Rosa ha recentemente diretto presso Einaudi, è ancora quello intitolato le Altre Lingue (intendere: altre rispetto all’italiano letterario codificato) che è il più fornito. Infatti, mentre l’italiano si fissava attraverso una tradizione letteraria esigente e elitaria, le pratiche culturali in Italia superavano largamente questo quadro unificatore che era soprattutto scritto, conservando, nei campi d’espressione in cui l’oralità gioca un ruolo importante, tutta la diversità e la ricchezza dei dialetti. È il caso delle canzoni, dei racconti (Giovanbattista Basile scrive in napoletano la prima raccolta di favole europea, il Cunto de li cunti), della poesia (Carlo Porta scrive in milanese e Giuseppe Gioacchino Belli in romanesco), del teatro, con commedie o interamente in dialetto, come quelle di Ruzante, originario di Padova, o con una caratterizzazione regionale dei personaggi tipo, che passa attraverso l’uso di diversi dialetti, come quello bergamasco per il ruolo del medico. Pirandello scrisse delle opere interamente in siciliano.
Gli scrittori possono utilizzare la loro parlata regionale in modo “puro”, completamente come lingua, ma la cui area di ricezione è, salvo eccezioni, limitata, o usarla contemporaneamente all’italiano, e eventualmente ad altri dialetti, per ottenere l’effetto di contaminazione già presente nella tipologia regionale dei personaggi della commedia dell’arte. Nel XV secolo, la letteratura detta maccheronica, fiorente a Padova, introduce un lessico dialettale, sentito come popolare, in una sintassi accademica, che ricalca il modello latino, provocando degli effetti spassosi e grotteschi. Tradizionalmente comica sin dall’antichità, la pratica della mescolanza dei registri, qui delle parlate, non è spazzata dallo slancio unificatore del XIX secolo. La si trova per esempio nell’opera multiforme del napoletano Vittorio Imbriani che, non ci si stupirà, era anche folclorista e specialista dell’opera del suo concittadino Basile, nella produzione non meno multiforme del lombardo Carlo Dossi, nelle novelle e racconti di viaggio del piemontese Giovanni Faldella, o ancora nell’opera di Remigio Zena che sollecita il dialetto ligure.
Nella seconda metà del XX secolo, accanto ad una maggioranza di scrittori che, o non usano mai il dialetto, o non vi ricorrono che in una misura infima, generalmente ad uno scopo strettamente mimetico, un po’ “colore locale”- e si pensi ad autori molto conosciuti in Francia come Italo Calvino, Dino Buzzati, Alberto Moravia, Leonardo Sciascia-, si trova un certo numero di autori, e non dei meno importanti, che l’italiano, inteso come standardizzato, mette a disagio e che integrano liberamente nella lingua comune, un dialetto, talvolta parecchi. Il più conosciuto, e indubbiamente il più sciolto, è Carlo Emilio Gadda, lombardo installato a Roma, il cui italiano trabocca di latinismi, neologismi, termini tecnici, e certamente, forme dialettali, triturati, compressi, aggrovigliati come in un pasticcio, termine che dà il titolo al suo più celebre romanzo e che significa nello stesso tempo fagottino di carne  (quindi carne tritata e ripieno), imbroglio e mistero, impiccio e noia, miscuglio e composizione musicale scritta a più mani. In quegli stessi anni cinquanta, pure il milanese Giovanni Testori usa un miscuglio di lingua e dialetto nel ciclo dei Misteri di Milano, la cui prima parte, la raccolta di novelle Il Ponte della Ghisolfa pubblicata nel 1958, diventa sullo schermo il celebre Rocco e i suoi fratelli. Pier Paolo Pasolini, friulano installato a Roma, introduce largamente il dialetto romano nei suoi romanzi come nei suoi films. Più tardi, il premio Nobel per la letteratura Dario Fo, nel suo teatro di satira politica, riallaccia i rapporti con le tradizioni orali dialettali. Luigi Meneghello ricostruisce la sua Venezia sollecitando largamente la parlata della sua città, Malo. È tutto il lavoro di scrittura di Vincenzo Consolo, siciliano come Camilleri, che si nutre di una ricerca tanto dotta quanto evocatrice di un lessico nascosto nei ricordi e negli scritti ermetici, facendo nascere dei romanzi in cui il mistero delle parole intensifica la vertigine del racconto. In Luigi Malerba, il comico è favorito da una polifonia linguistica strabiliante della quale Roger Salomon ha dato in  francese una traduzione-adattamento che aiuta brillantemente la scommessa della libertà creativa del traduttore. E quando l’emiliano Francesco Guccini entra in letteratura, attinge allegramente nel suo dialetto, riserva di sonorità particolarmente seducenti per il musicista che egli è. Infine, nella nuova generazione, giovani e brillanti autori si servono di questa alleanza inventiva tra lingua e dialetto, come la lombarda Laura Pariani, che corre il rischio di una lingua allo stesso tempo arcaicizzante e mischiata al dialetto, o il sardo Sergio Atzeni la cui prosa, ricca di parole latine, spagnole e sarde gioca simultaneamente con la polifonia delle risonanze linguistiche e storiche e con l’incrocio dei punti di vista narrativi, o ancora Marcello Fois, un altro scrittore sardo dai dosaggi di un orafo per il quale il ricorso puntuale a parole o frasi in dialetto (sardo in generale, ma anche romano in Sheol) si inserisce nella   ricerca di una identità decisamente non nostalgica né folcloristica, in cui l’introspezione e la memoria sono messe al servizio di un futuro da conquistare e da dominare.

I giochi linguistici di Andrea Camilleri

Da un’isola all’altra…È ad Andra Camilleri che Fois chiede una prefazione per il suo Sempre caro, il primo libro della tetralogia che egli dedica alla Nuoro della fine del XIX secolo, riconoscendo forse un debito verso colui il quale ha conquistato un immenso pubblico con dei libri, al primo approccio, difficili da capire. Ricordiamo che per pubblicare Un filo di fumo, il secondo romanzo di Camilleri, l’editore Livio Garzanti chiese all’autore di redigere un glossario dei termini dialettali che aveva usato. Questi i timori dell’editore, inversamente proporzionali alla fiducia che di contro l’autore poneva nei lettori, ai quali chiedeva di fare lo sforzo di entrare in una lingua incomprensibile, ma che, con l’uso, tramite il gioco del contesto e delle situazioni, si chiarisce a poco a poco per diventare familiare nella sua estraneità. La ricompensa per il lettore è di entrare così in una complicità reale con l’autore che, nel corso delle pagine, gli dà le chiavi di una parlata locale della quale egli può allora assaporare l’espressività. Ma soprattutto, scoprendo quelle parole e espressioni specifiche, il lettore penetra attraverso la porta giusta nel microcosmo umano di cui esse esprimono i valori, le angosce, le speranze,le gioie, la saggezza e la follia. La particolarità linguistica così utilizzata è una difesa contro le incomprensioni, gli stereotipi e le manipolazioni che genera l’uso esclusivo di una lingua venuta dall’esterno, come nel caso dell’italiano del secolo scorso per tutti i siciliani che non avevano un certo grado d’istruzione.
Il tentativo di Camilleri non è dunque di scrivere in dialetto puro, di chiudersi in un orizzonte strettamente locale, ma di attingere in tutta libertà dalla riserva dialettale per fare entrare e vivere nella lingua italiana nozioni, comportamenti, codici sociali, gusti, oggetti che appartengono alla realtà e alla cultura dell’angolo di Sicilia in cui egli è nato e cresciuto, Porto Empedocle. Egli non aspira né al purismo linguistico né all’esattezza archeologica. Come evidenziato ne Il gioco della mosca, la raccolta di detti e espressioni immaginose che egli ha scritto con una evidente golosità, Camilleri segue una logica affettiva e esaltante secondo la quale le buone espressioni non sono quelle autorizzate da qualche dizionario, ma quelle che traggono la loro attestazione da una situazione vissuta, da persone reali, umili o celebri, la cui esperienza, le cui sofferenze e gioie diventano patrimonio linguistico di una comunità umana. Alcune di queste espressioni proverbiali sono presenti ne La stagione della caccia e prendono tutto il loro sapore alla luce delle informazioni, talvolta direttamente autobiografiche, che Camilleri dà per ognuna di esse. Nella narrazione come nei dialoghi, Camilleri introduce numerosi termini siciliani, talvolta molto riconoscibili (picciliddro, per bambino o fimmina, per donna), o facilmente comprensibili (nìvuro, nero, o armalo, animale), ma più spesso incomprensibili al di fuori del loro contesto (furiare, prendere in giro, o camurrìa, seccatura estrema). Egli attinge da un lessico derivato da attività professionali specifiche, legate al mare o alla terra (farlacca, ponte mobile di corda e tavole, o timpa, monticello di terra). Certi termini corrispondono a deformazioni locali di parole italiane (astrèco per austriaco) o straniere, soprattutto americane (piscipàino per pitchpine). L’uso di forme insolite implica il rischio dei falsi amici : taliare significa guardare non tagliare; tanticchia significa un poco non molto (che in italiano si dice tanto); sintomo significa svenimento non sintomo, che è il suo significato in italiano. Infine, Camilleri dosa l’intensità stessa delle parole dialettali utilizzate usandole , sia nella loro forma fonetica siciliana  pura  e   dura ( è il caso dei dialoghi), piuttosto per le repliche dei personaggi di strato sociale più umile: iddu per esso, il pronome soggetto di terza persona maschile singolare; u per il, articolo determinativo maschile singolare; pirchì per perché, sia in una forma foneticamente addolcita, italianizzata: l’aggettivo càvudo (con la o finale caratteristica del maschile singolare in italiano); l’infinito spiari (chiedere) è italianizzato in spiare e così per gli altri verbi del I gruppo; il verbo arrisbigghiari (svegliare) è italianizzato in arrisbigliare. Quanto alla sintassi, Camilleri calca talvolta la frase siciliana rinviando il verbo alla fine e usa massicciamente il passato remoto, secondo una pratica diffusa in tutto il sud dell’Italia.
Per permettere al lettore di seguirlo, Camilleri ricorre a parecchi stratagemmi: fare scivolare nel paragrafo un sinonimo italiano del termine dialettale usato un po’ più in alto, inserire il termine dialettale in un contesto perfettamente illuminante, ricorrere spesso agli stessi termini dialettali che la diversità e la frequenza dei contesti vanno a chiarire, infine, più raramente, fare intervenire nella conversazione in dialetto un personaggio non siciliano che chiede chiaramente una spiegazione di cui il lettore approfitterà a sua volta.

Quale francese per questo italiano?

Nella ricerca di una soluzione per rendere in francese questo miscuglio di lingue, ho proceduto per eliminazione. L’ipotesi di ricorrere al gergo, che può vantarsi di una tradizione letteraria, non era accettabile poiché avrei così compiuto una ingiusta uniformazione sociologica. Il ricorso a differenti livelli di lingua e l’uso intensivo di espressioni immaginate, talvolta rare e dunque sorprendenti o buffe, mi avevano permesso di non tradire troppo la polifonia de La concessione del telefono, il romanzo di Camilleri che avevo precedentemente tradotto. Ma ciò che poteva bastare per questo libro senza narratore, in cui i personaggi si esprimono sempre in stile diretto, nelle lettere o nei dialoghi sprovvisti di didascalie, dunque restando contemporaneamente su un solo registro, non bastava più per tradurre l’ibridazione tra italiano e siciliano presente ne La stagione della caccia, come nella maggior parte dei libri di Camilleri. Bisognava dunque cercare di riprodurre questo incrocio tra una lingua sentita come la norma dominante, fissata e codificata, elegante e ammirata e una parlata non ufficiale, non universale, fortemente espressiva e talvolta persino truculenta, autorizzata dalla sua sola tradizione, ma sufficientemente ricca e insolita per creare nel lettore francese il sentimento di estraneità familiare che Camilleri offre ai suoi lettori italiani. Le parlate del sud della Francia, già largamente usate, soprattutto nelle loro specificità fonetiche, per doppiare i film italiani, mi sembravano troppo connotate: Pagnol non sarebbe mai molto lontano dallo spirito del lettore francese, orientando impropriamente la sua scoperta dell’universo di Camilleri.
La scommessa allora è stata di ripetere il percorso di Camilleri, usando una parlata locale che non fosse lettera morta per l’autore della traduzione in modo da farlo diventare parlante anche per il lettore esterno a quel microcosmo. È così che ho richiamato la parlata lionese, passata e presente, che appartiene al gruppo dei dialetti franco-provenzali. Questo francese di Lione possiede un vasto lessico e alcune specificità sintattiche che mi hanno permesso di giocare con la lingua francese e la parlata regionale , combinandole con la disinvoltura che io notavo in Camilleri, osservando la stessa regola: scegliere le parole per la loro espressività, specificità, comicità, irriducibile personalità. In breve, mi si potrà rimproverare, era la porta aperta alla libera scelta, alla soggettività, all’arbitrarietà. La mia sola difesa è che non ho inventato né deformato niente, ho fatto rivivere delle parole che avevano avuto il loro posto in un dato momento, in una data comunità, che spesso costellano ancora il francese parlato a Lione, e che suscitano oggi l’interesse di specialisti e curiosi.
Il lettore avrà già compreso che non ho potuto realizzare una equivalenza sistematica, parola per parola, espressione per espressione, tra gli usi del dialetto siciliano nell’originale e quelli della parlata lionese nella traduzione. Tuttavia, in alcuni casi particolarmente felici, l’equivalenza è perfetta: il siciliano taliare (guardare) è reso con  lionese apincher, caruso (bambino) con mami, futtiri (compiere l’atto sessuale, per un uomo) con fifrer, strammo (strano) con bachique, babbiare (scherzare) con gandoiser, alliffarisi (mettersi in ghingheri) con se rapilloter, timbulata (schiaffo) con  plamuse cato (secchio) con  seille,  alloccuto (stupito) con couame, intortato (rattrappito) con recrénillé, strùmmula (trottola) con fiarde, cacazzi (scorie di carbone) con gréssillons, tirribìlio (trambusto) con sicotis, minchia di con sampillerie de, alloppiare (dare dell’oppio) con potringuer, essere allocato (perdere la ragione) con détrancaner, una pigliata per il sedere (derisione, imbroglio) con une gosse, far nesciri la guàllara (farsi venire un’ernia) con se faire peter la basane, si fici mali a una gamma (si è fatto male a una gamba) con il s’est déclaveté une piotte, una troffa (un cespuglio) con une sévelée, fare una curruta (correre) con pataler, scantato (spaventato) con ébravagé, assammarare (bagnare) con benouiller, nze (interiezione negativa) con vouatt, quadiarisi (riscaldarsi) con se cafourner, andare nel retré (andare in bagno) con prendre faute, mi fa raggia (mi innervosisce) con il me fait endéver, scursùni (serpente) con gicle, garrusu (stronzo) con sampille, e così via.
In altri casi, l’equivalenza ha luogo grazie ad un leggero slittamento di prossimità: il siciliano s’arrizzulavano (esse precipitavano) è stato reso con “elles dévalaient de collagne”, “mezzi annegati nel succo di racina” con “moitié gourdés dans le moût”, “il padre dà un càvucio nel culo al caruso” con “son père atouse au mami un coup de pied au cul”, “ci trasì il sole in testa” con “le soleil lui est entré dans le questin”, “le farlacche traballanti” con “les passerelles guenivelantes”, “se n’è iuto a spasso” con “il est sorti se bambaner”.
Accanto a queste equivalenze di vicinanza, ho operato delle equivalenze a distanza, che si equilibrano non più a livello della frase, ma del libro intero. Per i casi in cui, incontrando un termine siciliano, non ho potuto tradurlo con uno lionese, ho cercato di realizzare una compensazione, usando termini lionesi in un posto in cui, nell’originale, non c’era un termine siciliano. Tengo a precisare tuttavia che questo fu meno frequente rispetto al caso, di cui citerò alcuni esempi, d’impossibilità a tradurre il siciliano. Ho così introdotto il lionese rebriquer (replicare) o quinchée (grido) mentre Camilleri usa per queste nozioni l’italiano; uso déclavetée (messa male) per la marchesa che, in italiano, è “massacrata”; traduco “Natale était à plat de lit” quando Camilleri scrive in italiano “Natale stava sul letto”; traduco “la tâche d’huile s’éclapa” quando Camilleri scrive in itaqliano “la macchia d’olio si ruppe”; traduco “s’abousant au sol comme une boge de pommes de terre” quando Camilleri scrive in italiano “cadendo a terra come un sacco di patate”. Al contrario, non ho saputo fare meglio che tradurre in francese “normale” il termine di derivazione spagnola pilaja (plage) che Camilleri usa al posto di spiaggia, e la stessa impotenza mi ha colpita davanti al verbo spiare (domandare) che ritorna sistematicamente al posto dell’italiano chiedere o domandare, davanti a trasire (entrare), davanti a addunarisi rendersi conto), davanti a appinnicato (addormentato), davanti a ammàtola (invano), e certamente altri termini. Spesso è stato necessario rinunciare a tradurre parola per parola le leggere varianti fonetiche che presentano un certo numero di parole: forasteri per forastiero (straniero), accussì per così, baullo per baule, papore per vapore, omu per uomo, quatra per quadra, biniditta per benedetta, paro per pari, ccà per qua, vestia per bestia, mia per me, ecc.
Infine, ultimo stadio di questo sistema di compensazioni ed equivalenze, ho talvolta tradotto deliberatamente una  cosa per un’altra. Eccone due esempi. Quando Santo La Matina è consigliato nelle sue attività orticole da un uccello, in siciliano si tratta di una ciàvula (gazza). Poiché la parola mantenuta in lionese per gazza è quella dell’antico francese, margot, che fa sentire poco spaesati e che è fortemente connotata, ho scelto di rimpiazzarla con corbeau (corvo) un uccello simile, in lionese le graille. Nettie l’americana usa la farmacia come una drogheria e vuole comprarvi un paio di  quasette (calze). Io ho sostituito queste calze (prive di denominazione in lionese) con un oggetto vicino, nel caso specifico delle pantofole leggere, per le quali ho potuto usare il termine lionese baraquettes.

Fermiamo qua questa visita della fabbrica della traduzione. Il lettore ne avrà compreso il funzionamento e lo spirito. Da parte mia, traducendo così questo romanzo dalla lingua plurale, ho seguito la china del “desiderio di tradurre” di cui parla Paul Ricoeur, verificando con piacere che porta in realtà a “la scoperta della sua propria lingua, e delle sue risorse lasciate “in maggese”.
Possano questi maggesi prosperare tanto felicemente quanto il giardino di Santo La Matina e i loro frutti curare de collagne  la sterilità dei corpi e quella delle memorie…

(traduzione a cura del Camilleri Fans Club)

 



Last modified Saturday, July, 16, 2011