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Quelque chose me dit que...

(Entretien avec Andrea Camilleri)

Dans ce recueil d'entretiens avec le journaliste Marcello Sorgi, Camilleri évoque son parcours, la «sicilitude», ses débuts d'écrivain, sa manière de travailler, ses personnages… Il livre aussi cinq chapitres intitulés «une certaine idée de...» consacrés à la femme, l'Etat, le langage, la famille et la politique. Avec ce dernier chapitre, c'est une certaine histoire de l'Italie et particulièrement de la Sicile du vingtième siècle que l'on redécouvre. Evoquant sa jeunesse, Camilleri ne cache rien: Si vous voulez savoir comment j'étais, ce que je pensais, je n'hésite pas à vous dire que j'étais fasciste. En outre, mon grand-père et mon oncle étaient fascistes; mon père avait même été squadrista - membre des groupes de combats fascistes - et secrétaire politique du PNF. J'étais né en plein fascisme: que pouvais-je être d'autre? Je ne puis qu'ajouter qu'à cette époque, en Sicile, autant qu'on puisse en juger, le fascisme avait une étrange inclination de gauche, vaguement libertaire, et même anarchique, si je m'en tiens à mon père. Pourtant, le jeune Andrea ne tarde pas à se détacher des uniformes, des parades et du décorum fascistes. Il crée un journal avec des amis, mêlant littérature, recensions culturelles et articles politiques de fond. J'étais sûrement fasciste, mais je me sentais intimement de gauche explique-t-il évoquant sa découverte de l'U.R.S.S. à travers certains articles de l'époque. En 1943, quand les Américains débarquent en Sicile, le jeune Camilleri a viré sa cuti depuis longtemps. Il est devenu… communiste. Sans le savoir. Suite à un de ses articles, l'évêque, Monseigneur Ruffino, l'avait convoqué: Il fut aimable, m'invita à déjeuner. Il parla de choses et d'autres, puis à un moment donné il alla droit au but: «J'ai lu ce que tu as écrit. Je voudrais savoir qui te met certaines idées en tête». Ce sont des choses que je lis, répondis-je. Son excellence objecta: «Impossible. Ce sont des idées communistes.» Cela me glaça, je vous le jure. Le mot «communisme» était chez mes parents un mot à ne pas prononcer. Les communistes étaient les adversaires de mon père, comment se pouvait-il qu'une personne aussi sage que l'évêque puisse me dire, me faire découvrir, que j'étais devenu communiste. On en apprend ainsi énormément sur l'Italie et son cheminement politique dans cet ouvrage où deux hommes (tous deux Siciliens) échangent leur point de vue avec grande franchise. Et bien sûr, on en apprend beaucoup aussi sur la manière de travailler de Camilleri, son inspiration et cette langue si particulière qu'il a développée au fil des ouvrages, utilisant l'Italien, le Sicilien mais aussi d'autres dialectes et quelque fois une langue mêlant le tout, inventée par ses soins. Ce qui, au départ, pouvait apparaître comme un handicap - comment le lecteur allait-il accueillir cette utilisation de langages qu'il ne connaît pas? - est devenu la marque de fabrique et l'une des raisons du succès de Camilleri qui explique: Pour moi, le dialecte - il vaudrait mieux dire les dialectes - est l'essence véritable des personnages. (…) Dans le roman historique, un certain travail de recherche est indispensable: si je dois parler d'un paysan sicilien du XVIIIe siècle, j'ai besoin de savoir comment il parlait de son temps. Et, tandis que je cherche à le comprendre, le personnage prend forme: il naît, en quelque sorte, des mots qu'il doit prononcer (…) C'est exactement cela: sa langue est sa pensée.





Last modified Saturday, July, 16, 2011