La Libre Belgique,
26.3.2002
Méditerranéen. Riche et multiple, l'Italie...
Le Sicilien Andrea Camilleri joue de l'énigme historique et
du polar
Il se retrouve dans l'essai de Fabio Gambaro où il est question
de sept écrivains narrateurs de leur terre. La célébrité
n'a, de toute évidence, pas freiné le rythme de production
de l'écrivain de Porto-Empedocle: trois Camilleri viennent de sortir
en français! Deux récits historiques (`Indulgences à
la carte´ et `Un massacre oublié´), ainsi qu'un savoureux
polar `Un filet de fumée´.
Dans ce dernier giallo, le commissaire Salvo Montalbano [sic!
NdR], le héros littéraire de prédilection des
Italiens, opère comme à l'habitude avec maestria dans sa
petite ville de Vigàta. Toujours épris de justice et de bonne
chaire, il déjoue les complexes intrigues que sa terre natale lui
concocte à l'envi. Il s'agit, cette fois, des avatars que suscite
une problématique cargaison (thème très sicilien depuis
Verga et les célèbres Malavoglia!) de soufre. Le navire Ivan
Tomorov devait venir la charger chez un négociant à tout
le moins peu estimé, Totò Barbabianca, mais voilà...
cette fripouille n'a plus rien dans ses entrepôts! Ce qui met en
péril ses malhonnêtes bénéfices escomptés.
Tout le village se ligue pour éreinter l'horrible Totò; ce
qui donne l'occasion belle à l'écrivain de brosser une galerie
de portraits sans complaisance où baron, curé, prince, magasinier
et autres comparses rivalisent en noirceur absolue. Le tout avec l'accent,
puisque Camilleri continue à recourir à une langue faite
d'italien, de sicilien et, dans ce cas, de piémontais - ce que la
traductrice a tenté de rendre par des emprunts, assez convaincants,
au parler lyonnais. C'est un peu comme s'il mettait à l'épreuve
cette réflexion de Pirandello: `Le dialecte exprime le sentiment
d'une réalité, tandis que la langue italienne en exprime
le concept´.
Un roman drôle et divertissant où variétés
culturelle et linguistique sont à l'honneur, dans un grand art du
suspense.
Le talent de Camilleri ne se limite toutefois pas au seul polar. Il
arrive également que l'écrivain sicilien se double d'un historien,
expert en patrimoine insulaire. Ainsi se plonge-t-il avec bonheur, comme
Sciascia, Bufalino ou Consolo, dans les archives pour élaborer ses
récits où le goût du passé le dispute sans cesse
aux soucis pointilleux d'une identité régionale fière
de ses particularismes. `La Concession du téléphone´
ou `La Saison de la chasse´ (publiés chez Fayard) en sont
des exemples privilégiés.
Les deux nouveaux récits ne décevront pas les happy few:
`Indulgences à la carte´ mène l'enquête sur une
hypothétique et déplorable coutume de l'Église, qui
aurait consisté en la vente des `bulles de composition´; celles-ci
étaient censées assurer l'absolution de nombreux méfaits
selon un barème bien établi... Est-ce une extravagante invention
ou ont-elles bel et bien existé? Et surtout, qu'ont-elles représenté
dans la mentalité sicilienne? Camilleri analyse les données,
avec tendresse et ironie. C'est passionnant et fourmillant d'informations.
NI PESSIMISTE, NI FATALISTE
Porté par ces mêmes qualités, `Un massacre oublié´
se penche, lui, sur la disparition de 114 jeunes hommes, des bagnards de
Porto Empedocle. L'Histoire n'a pas retenu les noms de ces `serfs de peine´
qui se sont sacrifiés, en 1848, sous les Bourbons, pour l'unification
italienne. En faisant ainsi oeuvre de mémoire, Camilleri opte pour
une littérature engagée, consciente de sa dimension politique.
Il ne s'éprouve, en cela, `ni pessimiste, ni fataliste´.
Ainsi qu'il le confie à Fabio Gambaro; il adopte plutôt,
comme Gramsci, le `pessimisme de la raison et l'optimisme de la volonté´,
et il déclare que la littérature doit toujours donner du
plaisir´.
C'est avant tout une image nouvelle et diversifiée de l'Italie
que propose Fabio Gambaro, journaliste et essayiste, au travers d'entretiens
avec sept écrivains, aussi différents que célèbres:
outre Andrea Camilleri, il interroge Umberto Eco, Vincenzo Consolo, Claudio
Magris, Rosetta Loy, Alessandro Baricco et Bruno Arpaia.
Au-delà des clichés habituels, ce livre dessine une vision
contrastée de la Péninsule dans ses dynamiques contemporaines.
Le paysage culturel, social et politique se voit tantôt évoqué
sous l'angle d'une inquiétante évolution qui `dans l'ivresse
du changement, semblerait par moments pousser les Italiens à oublier
une partie de leur mémoire et de leurs traditions´, tantôt
sous l'effet de la banalisation commune qu'entraîne forcément
la modernité occidentale. Chaque vision élabore un pan de
la vérité multiple du pays. Retenons, entre autres, celle
du Triestin Claudio Magris, travaillé par son identité de
frontières, affirmant que `vivre en Italie est une véritable
éducation au dialogue et à l'échange´. Celle
du Sicilien Vincenzo Consolo, toujours soucieux `de donner la parole aux
exclus et à leurs utopies´, ou bien encore celle de la Romaine
Rosetta Loy avec sa réflexion sur le fascisme et les traditions
catholique et juive.
Une approche nuancée de la littérature italienne dans
sa diversité. De quoi nous interpeller! Rappelons qu'elle est la
vedette au Salon du livre à Paris.
Marie-France Renard
Mediterraneo. Ricca e molteplice, l'Italia...
Il Siciliano Andrea Camilleri scrive di enigma storico e poliziesco
Si ritrova nel saggio di Fabio Gambaro che parla di sette scrittori
che raccontano la loro terra. La celebrità non ha, evidentemente,
frenato il ritmo produttivo dello scrittore di Porto Empedocle: tre Camilleri
sono appena usciti in Francia! Due racconti storici sono stati appena pubblicati
in francese: (`Indulgences à la carte´ et `Un massacre oublié´),
nonché un poliziesco gustoso `Un filet de fumée´.
In quest'ultimo giallo, il commissario Montalbano [sic! NdR],
l'eroe letterario prediletto dagli Italiani, opera con la maestria di sempre
nella sua piccola Vigata. Sempre preso dagli impeti della giustizia e in
ottima forma, e sbaraglia gli intrighi complessi che la sua terra natale
gli offre all'inifinito. Si tratta, questa volta, delle preoccupazioni
che suscita un problematico carico (tema molto siciliano fin dai Malavoglia
di Verga!) di zolfo.
[...]
(traduzione a cura di Lucia)