L'Humanité,
21.3.2002
SALON DU LIVRE. "Un filet de fumée", d'Andrea Camilleri
Tout Vigàta l'attend, la fumée qui mettra fin au règne
honni de Toto Barbabianca. Elle s'élèvera de la cheminée
de l'Ivan-Tomorov, cargo provenant d'Odessa, qui, dans quelques heures,
viendra à quai prendre livraison du soufre que Barbabianca entrepose.
Ou plutôt aurait dû entreposer. Car il l'a vendu depuis belle
lurette, ce soufre qui ne lui appartenait pas. Un fait dont il est coutumier
: propriétaire ou non, tout ce qui est en magasin doit être
vendu au meilleur cours, et il suffit de se réapprovisionner quand
arrive le télégramme annonçant l'arrivée du
vapeur. Mais les plus belles mécaniques se grippent un jour, surtout
si on les aide, surtout si toute la population de Vigàta y aide.
Aujourd'hui, le bateau arrive et pas un gramme de soufre chez les Barbabianca.
Alors tous les Vigatais guettent le filet de fumée qui annoncera
la chute de l'homme qu'ils haïssent le plus, Toto Barbabianca. Mais
les hauts-fonds et bas-fonds de la côte sicilienne sont, eux aussi,
traîtres à leur manière. Dans le premier des romans
(écrit en 1980, c'est le deuxième livre de Camilleri) qui
font vivre ce petit port de Sicile entre l'unification de l'Italie et le
début du siècle, Camilleri, maîtrisant de bout en bout
un suspense digne des plus grands, dresse avec tendresse et férocité
le portrait d'un coin de terre qui lui est cher, et qu'il fait aimer à
tous ses lecteurs. Ses fidèles retrouveront son humour à
froid, servi une langue personnelle, largement enrichie de sicilien, dont
l'équivalent est recherché ici par des pépites linguistiques
trouvées dans le franco-provençal lyonnais.
A. N.
Ed. Fayard (trad. Dominique Vittoz), 146 pages, 15 euros.
Camilleri va-t-il rééditer en France ses succès
transalpins ? Les éditeurs semblent le croire : il est l'auteur
contemporain le plus traduit de ce salon.
Chez Gallimard, au Promeneur, collection Le cabinet des lettrés
Un massacre oublié : son fameux récit, écrit sur
les conseils de Sciascia (l'Humanité du 8 mars 2001), 82 pages,
14 euros.
Indulgences à la carte, 82 pages, 14 euros, tous deux traduits
par Louis Bonalumi.
Chez Anne-Marie Métailié, la Disparition de Judas : un
autre chaînon de la vie de Vigàta il y a un siècle.
250 pages, 16,50 euros.
Au Fleuve noir, l'Excursion à Tindari : 222 pages, 16,50 euros.
Tous deux traduits par Serge Quadruppani avec l'aide de Maruzza Loria.
Chez Fayard, Quelque chose me dit que, entretiens avec Marcello Sorgi,
directeur de la Stampa, trad. Alain Sarrabayrouse, 160 pages, 15 euros.