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Andrea Camilleri, la langue paternelle

Préface de Serge Quadruppani à La forme de l’eau (Fleuve Noir, 1998)

 

Andrea Camilleri raconte que le jour où il a appris que son père allait bientôt mourir, il a joué toute la journée au flipper dans un état second et que c'est après qu'il a décidé d'écrire dans la langue même de son géniteur, cette langue que, spontanément, il retrouvait, quand il parlait avec lui. La décision n'allait pas de soi, pour un de ces Siciliens comme on en trouve tant parmi les plus illustres, qui ont souvent si bien parlé de leur terre - mais sont allés vivre ailleurs. Ceux-là, inversant l'injonction «Love it or leave it» reprise par tous les nationaux-réactionnaires de la terre, savent bien qu' on peut quitter un pays, comme un être, parce qu'on l'aime.
Il nâit en 1925 à Porto Empedocle (la Vigàta de ses romans), dans cette province d'Agrigente d'où est originaire Sciascia. Unique rejeton d'une famille de la haute bourgeoisie appauvrie apparentée à celle de Pirandello, il va poursuivre ses études à Palerme, et s'y agrège à un groupe de jeunes bohèmes dont bon nombre connaîtront le succès dans l'écriture ou la peinture. C'est à cette époque qu'il commence à rédiger des nouvelles pour des journaux et des revues, activité qu'il poursuivra pendant de très nombreuses années.
Il écrit aussi de la poésie et remporte en 1947 le prix «Libera Stampa», aux dépens d'un autre lauréat de cette année-là, un certain Pasolini. En 1949, il reçoit un très prestigieux prix pour une pièce de théâtre, décerné à Florence: sur le chemin de retour, relisant son œuvre, Giudizio a mezzanotte (Jugement à minuit), il en est si peu satisfait qu'il jette l'unique exemplaire par la fenêtre du train. La même année, il quitte cette île où depuis il n'a jamais cessé, physiquement mais surtout littérairement, de revenir.
L'occasion de partir lui est fournie par une bourse à l'Académie des arts dramatiques. Commence bientôt pour lui ce qu'on pourrait appeler sa première carrière, la plus longue, celle de metteur en scène et d'enseignant-théoricien d'art dramatique: collaborations à l'Enciclopedia dello Spettacolo, enseignement au Centro sperimentale di cinematografia et depuis 1953, 153 mises en scène théâtrales, 1300 pour la radio et 80 pour la télévision, où il produira aussi une adaptation, célèbre outre-Alpes, des Maigret de Simenon. Durant tout ce temps, il avait continué à écrire des nouvelles - mais, malgré les encouragements de son ami Leonardo Sciascia, jamais de roman. «Dans la langue italienne, dans l'italien des Italiens, je n'ai jamais ressenti un élan assez long pour écrire un roman, ce que j'avais à dire en italien se contenait toujours dans la forme de la nouvelle.»
C'est donc seulement en 1982, à cinquante-sept ans, qu'il publie son premier roman: Un filo di fumo, chez Garzanti. Suivront une vingtaine d'autres, qu'on peut répartir en deux grandes séries. Dans la première, consacrée à la Sicile du siècle dernier, Camilleri trace son propre sillon dans un genre que Sciascia a porté à des sommets: le récit historique à trame policière, bâti à partir d'un fait divers ayant laissé dans les archives une trace, souvent ténue, énigmatique, mais toujours assez forte pour donner son essor à l'imagination. Le deuxième filon de son œuvre est constitué par les aventures du commissaire Montalbano, dont on tient ici le premier épisode.
Mais ce n'est qu'au début des années 90, avec l'édition et la réédition de ses romans chez l'éditrice Elvira Sellerio, réputée pour l'élégance de ses publications comme de ses choix littéraires, que le succès peu à peu va venir. Par le bouche à oreille d'abord, puis, depuis deux ans, grâce à l'intérêt des médias, s'est développé en Italie ce qu'on appelle le «phénomène» Camilleri: ses trois derniers livres (une réédition et deux inédits) occupent depuis maintenant de nombreuses semaines la tête des ventes. Quatre heures d'adaptation télévisée doivent être diffusées en octobre sur la RAI et il a été sélectionné pour le prix Bancarella, l'équivalent du prix des Libraires.
Construction habile où l'on sent le métier d'un vieux fabricant d'intrigues et d' atmosphères, vivacité des dialogues et définition précise des personnages dignes d'un auteur dramatique de premier plan, humour et ironie - auto-ironie même, qualité éminemment sicilienne, immanquable pendant de l'orgueil d'un irréductible particularisme: toutes ces qualités expliquent certainement en partie le succès d'un auteur qu'aucun battage publicitaire n'a lancé. Mais la principale réussite de Camilleri, aux yeux des lecteurs italiens, tient certainement dans la restitution des saveurs fortes d'une terre, de l'univers mental de ses habitants, et singulièrement de sa langue.

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La langue paternelle d'Andrea Camilleri est une recréation personnelle du parler de la province d'Agrigente. Même Maruzza Loria, mon «experte» palermitaine sans qui j'eusse été bien en peine de réaliser la présente traduction, avoua parfois son ignorance devant quelques vocables de l'autre côté de l'île, et il fallut recourir à l'auteur lui-même.
Plus généralement, la langue de Camilleri est représentative du très riche idiome constitué au fil des siècles par les Siciliens cultivés, au point de contact entre le dialecte populaire de l'île, la langue des autres régions d'ltalie (et plus tard l'italien officiel, celui d'un Etat central tardif et lointain), et les langues des peuples qui, depuis deux millénaires, ont, tour à tour, débarqué sur ce triangle fertile planté entre l'Orient et l'Occident de la Méditerranée, de ces conquérants qui se sont emparés de la Sicile avant qu'elle ne s’empare d'eux.
Du fond de cette langue, de son soubassement étymologique comme de sa charpente syntaxique, ce sont les Grecs qui nous parlent (et jusque dans l'humble mot catojo, le logis des plus pauvres), et aussi les Byzantins, les Romains, les Arabes (qui ont régné deux siècles et influencé chaque aspect de la vie en Sicile, de la cuisine au sentiment de la fatalité), les Normands de Roger II et de sa dynastie, les Allemands du Suédois Frédéric II, les Angevins (qui ont laissé derrière eux, après les fameuses Vêpres, tant de cataferi - cadavres, et d'autres mots bien vivants d'origine «française»...), les Catalans, les Castillans (sous la pilaia de Montalbano, la playa), et jusqu'aux Américains, ultimes débarqués à avoir laissé leur trace dans la toponymie de Vigàta et ses «gratte-ciel nains».
Apprenant que j' avais entrepris de traduire le maestro de Porto Empedocle, il n'est pas un seul de ses lecteurs italiens que j'ai rencontrés qui ne m'ait, à un moment ou à un autre, posé la question : «Mais comment vas-tu traduire Camilleri?» A quoi je répondais, invariablement, que j'avais l'intention de le traduire en français. A mes interlocuteurs qui, creusant la question, avouaient mal comprendre comment on pouvait restituer aux lecteurs français l'impression que Camilleri produit sur ses lecteurs italiens, je répondais que c'était simple: on ne le pouvait pas.
Assez semblable en cela à la rencontre amoureuse, la traduction ne s'opère pas en termes d'équivalence pure et d'égalité simple dans l'échange. C'est la rencontre de deux langues, pas celle de mots entre lesquels on pose le signe =. Pas la confrontation inerte de deux dictionnaires, mais un point de contact entre deux mouvants univers mentaux. Camilleri a réussi cette gageure de présenter à ses compatriotes une littérature écrite dans une langue qui leur est largement étrangère mais qui contient sa traduction potentielle.
Un filo di fumo, le premier roman de Camilleri, était assorti d'un glossaire à destination du lecteur italien non-natif de l'île. Ensuite, cet appendice a disparu. Il n' en était plus besoin, car l'auteur avait mis au point les voies d'accès à son texte, qui correspondent, en gros, aux trois niveaux de langue utilisés dans les textes de Camilleri. Chacun d'eux pose des problèmes différents au traducteur. Le premier est celui de l'italien des Italiens, qui ne présente pas de difficulté particulière, surtout présent vers la fin du livre, quand l'action doit avancer. Le troisième est celui du dialecte pur, qu'emploient les gens du peuple, ou Montalbano quand il retourne au plus près de ses racines, en parlant avec un ami d'enfance: dans ces passages, toujours dialogués, soit le dialecte est suffisamment près de l'italien pour se passer de traduction, soit Camilleri en fournit une. A ce niveau-là, le traducteur a simplement traduit le dialecte en français en prenant la liberté de signaler dans le texte même que le dialogue a lieu en sicilien (et en reproduisant parfois, pour la saveur, les phrases en dialecte, à côté du français).
La difficulté principale se présente au niveau intermédiaire, le deuxième, celui où se déploie la «langue paternelle». Cet italien sicilianisé, qui est celui du narrateur, mais aussi de Montalbano et de la plupart des personnages (même la Suédoise qui a appris l'italien en Sicile emploie des tournures locales), est truffé (le mot est particulièrement bienvenu) de termes qui ne sont pas du pur dialecte, mais plutôt des «régionalismes» (pour citer deux exemples très fréquents, taliare pour guardare, regarder, spiare pour chiedere, demander). Ces mots, Camilleri n'en fournit pas la traduction, car il les a placés de telle manière qu'on en saisisse le sens grâce au contexte (et aussi, souvent, grâce à la sonorité proche de celle d'un mot connu). Voilà pourquoi les Italiens n'ont (pratiquement) pas besoin de glossaire, goûtent l'étrangeté de la langue et la comprennent pourtant. Tous ces sicilianismes, il a fallu renoncer à en rechercher, terme à terme, des équivalents français. Comme le traducteur (sutor ne supra crepidam) doit impérativement éviter de disputer à l'auteur son rôle, et se cantonner à sa fonction de passeur, il était hors de question d'inventer une langue artificielle, même si celle de Camilleri l'est dans une certaine mesure (il ne s'agit pas d'une pure transcription de philologue, mais bien d'une recréation).
Je me suis donc contenté de placer en certains endroits, comme des bornes rappelant à quel niveau on se trouve, des termes de «francitan». Pour trois raisons, dont deux avouables. D'abord le français occitanisé s'est assez répandu, par diverses voies culturelles, pour que jusqu'à Calais, on comprenne ce qu'est un «minot». La deuxième raison, c'est que ces régionalismes apportent en français un parfum de Sud. (La troisième étant que c'est la langue de mon enfance.) Une fois seulement, j'ai enfreint cette règle auto-imposée, s'agissant du terme tambasiàre, qui signifie, comme l'explique Camilleri dans le roman, «tourner en rond chez soi en s'occupant de choses futiles»: n'ayant pas trouvé d'équivalent en français méridional, j'ai donc emprunté «rousiner» à une autre région. Mais on peut se consoler par le fait qu'il s'agit d'un terme de gallo, dialecte de Bretagne fortement influencé par le latin, l'île italienne et la péninsule française communiquant ainsi par l' intermédiaire deleurs lointains envahisseurs communs... En tous les cas, le lecteur français se trouvera placé dans une situation rappelant celle de son homologue italien, et, de par la nécessité de s'orienter parfois sur le contexte pour comprendre un mot, percevra un peu du sentiment d'étrangeté que ressent le lecteur italien de Camilleri.

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La sicilianité de notre auteur ne s'exprime pas seulement dans les mots, mais aussi dans la syntaxe, ce qui est ici beaucoup plus facile à rendre. Siciliano sono, «Sicilien je suis»: on trouvera beaucoup, dans le cours du texte, adaptée à notre langue corsetée, cette tournure de la langue parlée qu' emploie largement Camilleri, et dont le traducteur s'arrange, de façon qu'à la fin le verbe se retrouve placé. De même ai-je conservé l'emploi du passé simple, là où l'italien (et le français) recourrait au présent ou au passé composé: Chi successi?, «Que se passa-t-il?» pour «Qu'est-ce qui se passe?».
Point de procédé ni de pittoresque superficiel là-dedans. Ce passé simple qui, ailleurs, appartient à la langue écrite et qui, ici, au contraire, s'use quotidiennement dans le parler populaire, trahit une emphase lyrique présente dans le moindre échange langagier du peuple de Sicile - il suffit pour s'en convaincre de se promener un matin au marché de la Vucciria. Pareillement, bien des régionalismes expriment la singularité, l'insularité culturelle des gens de Vigàta et alentours. Il ne semble pas indifférent, par exemple, qu'on y utilise, au sens de «travailler», le mot travagliare qui, par le détour d'une origine française (mais ce détour est-il un hasard?), rappelle, bien mieux que le lavorare italien, le tripalium, instrument de torture réservé aux esclaves. De même, par leur usage du mot Liggi, la loi, les personnages de Camilleri nous font-ils éprouver l'attitude d'un peuple qui a appris à vivre à l'écart de l'Etat.

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Andrea Camilleri raconte (on aura compris qu'à l'oral comme à l'écrit, c'est un conteur hors pair) deux anecdotes pour illustrer les moments où il se sent, sicilien. Un soir, regardant à la télévision l'interview d'un procureur, chef du pool antimafia, notre auteur s'entendit nommé par l'homme de la liggi comme sa lecture favorite. Et l'écrivain de s'en réjouir... dans un premier temps. Car ensuite lui vint - du fond de quelle culpabilité native? - une vague inquiétude, dont il eut du mal à se défaire: «Un procureur, parler de moi? Qu'est-ce que ça cache?» Un matin qu'il méditait à l'ombre dans une chaise longue, sur son terrain de Porto Empedocle, non loin d'une source qu'il venait de découvrir, il aperçut un paysan qui y trempait un seau. D'un bond, il se leva, pensa: «Ce type prend de l'eau dans ma source? je le tue!» Est-il besoin de préciser qu'Andrea Camilleri est un citoyen respectueux des lois et tout à l'opposé d'un sanguinaire? Simplement, le génie sicilien c'est aussi cela: les réflexes profondément ancrés dans la chair et dans la terre, c'est tout un, d'un peuple qui, depuis deux millénaires que des pouvoirs étrangers le dominent, a appris à vivre avec, à côté, au-dessous de ces pouvoirs - à se fondre, s'identifier à eux, jamais.

Dans les premières pages de La Forme de l'eau, dont la force d'évocation fait songer à celles de La Moisson rouge de Hammett, Camilleri dresse, à travers le bref historique d'un terrain vague, l'état des lieux de toute une société. C'est en partant de là que le commissaire Montalbano, qui a tant de traits de son auteur (l'humour, le désenchantement, le goût de la justice sociale), va mener son enquête, en louvoyant entre les pouvoirs officiels et officieux, avec l'aide de son copain d'enfance Gegè, truand d'importance moyenne. Les manières nonchalantes et peu orthodoxes du commissaire ne sont pas du goût de son éternelle fiancée Livia, la Génoise, qui ne comprendra jamais les Siciliens et leur «manière tordue de raisonner»: eux-mêmes le lui rendent bien, d'ailleurs, puisqu'une vieille dame rencontrée dans la me a déclaré à Camilleri que «cette Livia, il ne fallait pas qu'elle épouse Montalbano, c'est pas une femme pour lui». Les façons du commissaire sont pourtant les seules qui lui permettent de se mouvoir, en ces zones grises où la Loi et son contraire tissent des liens, où les exigences de la Justice officielle n'ont rien à voir avec la justice à rendre à un bébé insomniaque qui vous fixe en silence...
Montalbano, en visite à Genes, chez Livia, doit nous offrir une assez bonne idée de Camilleri, installé à Rome, quand «par traîtrise, l'odeur, le parler, les choses de sa terre le saisissaient, le soulevaient dans les airs comme un fétu, le ramenaient, en quelques instants, à Vigàta». Interrogeant au téléphone un subordonné sur le sort d'un mafieux disparu, il s'entend répondre qu'il a été incaprettato: ce n'est pas par hasard si c'est à cause de ce mot intraduisible, un des rares pour lesquels j'ai dû recourir à une note, et donc si profondément sicilien, que le commissaire se sent aspiré de nouveau, cette fois «pas seulement par l'odeur et le parler de sa terre», mais aussi par «l'imbécillité, la férocité, l'horreur».
A bon'é ca si mori: heureusement qu'il y a la mort, dit un dicton rapporté par Sciascia dans Kermesse. Ce cri du cœur de la sagesse populaire remonte loin, il vient d'un savoir d'avant la chrétienté, c'est l'acceptation ironique de l'inéluctable férocité du destin.

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Voi1à aussi ce que contient la 1angue que méditait de se réapproprier Andrea Camilleri, dans ces heures où il se battait contre l'obtuse fata1ité de la bille d'acier qui, ma1gré tous 1es efforts et l'ingéniosité dép1oyés, finit toujours eng1outie là où elle était programmée pour aboutir: dans 1es entrailles de la machine qui l'a crachée à la 1umière.

Juin 1998 


Andrea Camilleri, la lingua paterna

 

Andrea Camilleri racconta che il giorno in cui ha appreso che suo padre stava per morire, ha giocato per tutta la giornata al flipper in uno stato di trance e che dopo ha deciso di scrivere nella stessa lingua del suo genitore, quella lingua che, spontaneamente, ritrovava, quando parlava con lui. La decisione non era scontata, per uno di quei Siciliani come se ne trovano tanti tra i più illustri, che hanno spesso parlato tanto bene della loro terra – ma sono andati a vivere altrove. Quelli, invertendo l’ingiunzione “Love it or leave it” ripresa da tutti i nazional-reazionari della terra, sanno bene che si può lasciare un paese, come un essere, perché lo si ama.
Egli nasce nel 1925 a Porto Empedocle (la Vigàta dei suoi romanzi), in quella provincia d’Agrigento da cui è originario Sciascia. Unico discendente di una famiglia dell’alta borghesia impoverita imparentata con quella di Pirandello, va a proseguire gli studi a Palermo, e si aggrega ad un gruppo di giovani bohèmes tra i quali parecchi conosceranno il successo nella scrittura o nella pittura. È in questo periodo che comincia a scrivere dei racconti per giornali e riviste, attività che continuerà per molti anni.
Scrive anche poesia e vince nel 1947 il premio “Libera Stampa”, battendo un altro laureato di quegli anni, un certo Pasolini. Nel1949 gli viene assegnato un prestigioso premio, a Firenze: sulla via del ritorno, rileggendo la sua opera, Giudizio a mezzanotte, ne è così poco soddisfatto che getta dal finestrino del treno l’unico esemplare. Nello stesso anno, lascia quell’isola in cui da allora non ha mai cessato, fisicamente ma soprattutto letterariamente, di ritornare.
L’occasione di partire gli è data da una borsa all’Accademia d’arte drammatica. Comincia ben presto per lui ciò che si potrebbe chiamare la sua prima carriera, la più lunga, quella di regista e di insegnante-teorico di arte drammatica: collaborazioni a l’Enciclopedia dello spettacolo, insegnante al Centro sperimentale di cinematografia e dal 1953, 153 regie teatrali, 1300 per la radio e 80 per la televisione, dove produrrà anche un adattamento, celebre oltralpe, dei Maigret di Simenon. Durante tutto questo tempo, aveva continuato a scrivere dei racconti – ma, malgrado gli incoraggiamenti del suo amico Leonardo Sciascia, mai romanzi. “Nella lingua italiana, nell’italiano degli Italiani, non ho mai avvertito uno slancio tanto lungo da scrivere un romanzo, ciò che avevo da dire in italiano si limitava sempre nella forma del racconto”.
Quindi è solo nel 1982, a 57 anni, che pubblica il suo primo romanzo: Un filo di fumo, da Garzanti. Ne seguiranno una ventina di altri, che si possono dividere in due grandi serie. Nella prima, consacrata alla Sicilia del secolo scorso, Camilleri traccia il suo proprio solco nel genere che Sciascia ha portato all’apice: il racconto storico con trama poliziesca, costruito a partire da un fatto di cronaca che ha lasciato una traccia negli archivi, spesso sottile, enigmatica, ma sempre abbastanza forte per dare libero corso all’immaginazione. Il secondo filone della sua opera è costituito dalle avventure del commissario Montalbano, del quale si ha qui il primo episodio.
Ma è solo all’inizio degli anni ’90, con l’edizione e la riedizione dei suoi romanzi presso l’editrice Elvira Sellerio, nota per l’eleganza delle sue pubblicazioni come delle sue scelte letterarie, che il successo a poco a poco comincia ad arrivare. Con il passaparola prima, poi, da due anni, grazie all’interesse dei media, si è sviluppato in Italia quello che si chiama “fenomeno” Camilleri: i suoi tre ultimi libri (una riedizione e due inediti) sono da parecchie settimane in testa alle vendite. Quattro ore di adattamento televisivo devono essere trasmesse dalla RAI in ottobre ed è stato selezionato per il premio Bancarella, l’equivalente del prix des Libraires.
Costruzione abile in cui si sente il mestiere di un vecchio creatore di intrighi e di atmosfere, vivacità dei dialoghi e definizione precisa dei personaggi degne di un autore drammatico di primo piano, umorismo e ironia – auto-ironia pure, qualità eminentemente siciliana, che si accompagna all’orgoglio di un irriducibile particolarismo: tutte queste qualità spiegano certamente in parte il successo di un autore che nessun battage pubblicitario ha lanciato. Ma il principale successo di Camilleri, agli occhi dei lettori italiani, consiste certamente nella restituzione dei sapori forti di una terra, dell’universo mentale dei suoi abitanti, e singolarmente della sua lingua.

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La lingua paterna di Andrea Camilleri è una ri-creazione personale del parlare della provincia di Agrigento. Anche Maruzza Loria, la mia “esperta” palermitana senza la quale avrei avuto molte difficoltà a realizzare questa traduzione, confessò talvolta la sua ignoranza davanti ad alcuni vocaboli dell’altro lato dell’isola, ed è stato necessario fare ricorso allo stesso autore.
Più in generale, la lingua di Camilleri è rappresentativa dell’idioma molto ricco creato nel corso dei secoli dai Siciliani colti, nel punto di contatto tra il dialetto popolare dell’isola, la lingua delle altre regioni d’Italia (e più tardi l’italiano ufficiale, quello di uno stato tardivo e lontano), e le lingue dei popoli che, da due millenni, sono, uno dopo l’altro, sbarcati su questo triangolo fertile posto tra l’Oriente e l’Occidente del Mediterraneo, di quei conquistatori che si sono impadroniti della Sicilia prima che questa si impadronisse di loro.
Dal fondo di questa lingua, dalla sua base etimologica come dalla sua struttura sintattica, sono i greci che ci parlano (e perfino nella parola catojo, l’alloggio dei più poveri), e anche i bizantini, i romani, gli arabi (che hanno regnato per due secoli e hanno influenzato ogni aspetto della vita in Sicilia, dalla cucina al sentimento della fatalità), i normanni di Ruggero II e della sua dinastia, i tedeschi dello svedese Federico II, gli Angioini (che hanno lasciato dietro di loro, dopo i famosi Vespri, tanti cataferi – cadaveri, e altre parole molto vive di origine “francese”…), i catalani, i castigliani (sotto la pilaia di Montalbano, la playa), e fino agli americani, ultimi sbarcati ad avere lasciato traccia nella toponimia di Vigàta e nei suoi “grattacieli nani”.
Apprendendo che avevo cominciato a tradurre il maestro di Porto Empedocle, non c’è uno solo dei suoi lettori italiani che ho incontrato che non mi abbia posto la domanda: “Ma come tradurrai Camilleri?” Alla quale io rispondevo, immancabilmente, che avevo intenzione di tradurlo in francese. Ai miei interlocutori che, approfondendo la domanda, confessavano di non capire come si potesse restituire ai lettori francesi la sensazione che Camilleri produce sui lettori italiani, io rispondevo che era semplice: non lo si poteva.
Molto simile in questo all’incontro amoroso, la traduzione non si fa in termini di equivalenza pura e di semplice equivalenza nello scambio. È l’incontro di due lingue, non quello di parole tra le quali si pone il segno =. Non il confronto inerte di due dizionari, ma un punto di contatto tra due universi mentali mutevoli. Camilleri ha vinto questa scommessa di presentare ai suoi compatrioti una letteratura scritta in una lingua che è largamente estranea a loro ma che contiene la sua traduzione potenziale.
Un filo di fumo, il primo romanzo di Camilleri, conteneva un glossario destinato al lettore italiano non nativo dell’isola. Poi, questa appendice è scomparsa. Non serviva più, poiché l’autore aveva messo a punto le vie d’accesso al suo testo, che corrispondono, per sommi capi, ai tre livelli di lingua utilizzati nei testi di Camilleri. Ognuno di essi pone dei problemi differenti al traduttore. Il primo è quello dell’italiano degli italiani, che non presenta difficoltà particolari, presente soprattutto verso la fine del libro, quando l’azione deve andare avanti. Il terzo è quello del dialetto puro, usato dal popolo, o da Montalbano nel momento in cui ritorna alle proprie radici, parlando con un amico d’infanzia: in questi passaggi, sempre in forma di dialogo, o il dialetto è sufficientemente vicino all’italiano da fare a meno della traduzione, o Camilleri ne fornisce una. A quel livello, il traduttore ha semplicemente tradotto il dialetto in francese prendendo la libertà di segnalare nel testo stesso che il dialogo ha luogo in in siciliano (e riproducendo talvolta, per il gusto, le frasi in dialetto, accanto al francese).
La difficoltà principale si presenta al livello intermedio, il secondo, quello in cui si spiega la «lingua paterna». Questo italiano sicilianizzato, che è quello del narratore, ma anche di Montalbano e della maggior parte dei personaggi (anche la svedese che ha imparato l’italiano in Sicilia usa delle costruzioni locali), è infarcito (la parola è particolarmente appropriata) di termini che non sono dialetto puro, ma piuttosto dei «regionalismi» (per citare due esempi molto frequenti, taliare per guardare, spiare per chiedere). Di queste parole Camilleri non fornisce la traduzione, poiché le ha usate in modo tale che se ne colga il senso grazie al contesto (e anche, spesso, grazie alla sonorità vicina a quella di una parola conosciuta). Ecco perché gli Italiani non hanno (praticamente) bisogno di glossario, gustano la stranezza della lingua e tuttavia la comprendono. Per tutti questi sicilianismi è stato necessario rinunciare a cercare, termine per termine, degli equivalenti francesi. Poiché il traduttore (sutor ne supra crepidam) deve categoricamente evitare di contendere all’autore il suo ruolo, e limitarsi alla sua funzione di «traghettatore», era fuori discussione inventare una lingua artificiale, anche se quella di Camilleri lo è in una certa misura (non si tratta di una pura trascrizione filologica, bensì di una ri-creazione).
Mi sono dunque accontentato di mettere in certi posti, come dei confini che ricordano a quale livello ci si trovi, dei termini di «francitano». Per tre ragioni, di cui due confessabili. Dapprima il francese occitanizzato si è abbastanza diffuso, per diverse vie culturali, tanto che sino a Calais si capisce cosa è un «minot». La seconda ragione, è che questi regionalismi apportano in francese un profumo di Sud . (La terza è che si tratta della lingua della mia infanzia.) Solo una volta, ho infranto questa regola auto-imposta, trattandosi del termine tambasiàre, che significa, come spiega Camilleri nel romanzo, «girare per casa occupandosi di cose futili»: non avendo trovato un equivalente nel francese meridionale, ho dunque preso in prestito «rousiner» da un’altra regione. Ma ci si può consolare con il fatto che si tratta di un termine di gallo, dialetto di Bretagna fortemente influenzato dal latino, per modo che l’isola italiana e la penisola francese comunichino anche per mezzo dei loro lontani invasori comuni… Ad ogni modo, il lettore francese si troverà in una situazione che ricorda quella del suo omologo italiano, e, avendo anch’egli la necessità di orientarsi talvolta tramite il contesto per comprendere una parola, percepirà un po’ del sentimento di estraneità che sente il lettore italiano di Camilleri.

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La sicilianità del nostro autore non si esprime solamente nelle parole, ma anche nella sintassi, cosa che è molto più facile da rendere. Siciliano sono, «Sicilien je suis»: si troverà molto, nel testo, adattata alla nostra lingua «incorsettata», questa costruzione della lingua parlata di cui Camilleri fa largo uso, e alla quale il traduttore si adatta, in modo che il verbo si trova piazzato alla fine. Allo stesso modo ho conservato l’uso del passato remoto, laddove l’italiano (e il francese) faceva ricorso al presente o al passato prossimo: Chi successi?, «Che cosa successe?» per «Che cosa succede?».
Niente di artefatto né di pittoresco in questo. Questo passato remoto che, altrove, appartiene alla lingua scritta e che, qui, al contrario, si usa quotidianamente nella parlata popolare, tradisce un’enfasi lirica presente nel minimo scambio linguistico del popolo di Sicilia – per convincersene basta passeggiare una mattina al mercato della Vucciria. Parallelamente, molti dei regionalismi esprimono la singolarità, l’insularità culturale della gente di Vigàta e dintorni. Non sembra indifferente, per esempio, che si usi nel senso di «lavorare», la parola travagliare che, tramite il sotterfugio di una origine francese (ma questo sotterfugio é un caso?), ricorda, più che il lavorare italiano, il tripalium, strumento di tortura riservato agli schiavi. Allo stesso modo, con il loro uso del termine Liggi, la legge, i personaggi di Camilleri ci fanno provare l’atteggiamento di un popolo che ha imparato a vivere lontano dallo Stato.

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Andrea Camilleri racconta (si sarà capito che all’orale come allo scritto, è un narratore impareggiabile) due aneddoti per illustrare i momenti in cui si sente, siciliano. Una sera, guardando in televisione l’intervista di un procuratore, capo del pool antimafia, il nostro autore si è sentito designato dall’uomo della liggi come la sua lettura preferita. E lo scrittore a rallegrarsene… in un primo tempo. Poiché in seguito gli venne – dal fondo di quale colpa nativa? – un moto d’inquietudine, del quale si liberò a fatica: «Un procuratore, parlare di me? Cosa nasconde questo?». Una mattina in cui meditava all’ombra in una sdraio, nel suo terreno di Porto Empedocle, non lontano da una sorgente che aveva appena scoperto, scorse un contadino che vi immergeva un secchio. Di colpo, si alzò, pensò: «Questo tipo prende acqua nella mia sorgente ? io lo uccido!» C’è bisogno di precisare che Andrea Camilleri è un cittadino rispettoso delle leggi e totalmente all’opposto di un sanguinario? Semplicemente, il genio siciliano è anche questo: i riflessi profondamente ancorati nella carne e nella terra, è la stessa cosa, di un popolo che, dominato da due millenni da poteri stranieri, ha imparato a vivere con, accanto, al di sotto di questi poteri- a fondersi, identificarsi con essi, mai.

Nelle prime pagine di La Forma dell’acqua, la cui forza evocativa fa pensare a La Messe rossa di Hammett, Camilleri mette su, attraverso la breve cronistoria di un’area edificabile in  abbandono, le condizioni della casa di tutta una società. È partendo da qui che il commissario Montalbano, che ha molti tratti del suo autore (l’umorismo, il disincanto, il gusto della giustizia sociale), va a condurre la sua indagine, destreggiandosi tra i poteri ufficiali e ufficiosi, con l’aiuto del suo amico d’infanzia Gegé, malvivente di media importanza. I modi indifferenti e poco ortodossi del commissario non sono graditi dalla sua eterna fidanzata Livia, la genovese, che non comprenderà mai i siciliani e il loro «modo contorto di ragionare»: loro stessi glielo fanno notare, d’altronde, poiché una vecchia signora incontrata per strada ha detto a Camilleri che «questa Livia, non bisognava che sposasse Montalbano, non è donna per lui». I modi del commissario sono pertanto i soli che gli permettono di muoversi, in quelle zone grige in cui la Legge e il suo contrario tessono dei legami, in cui le esigenze della Giustizia ufficiale non hanno niente a che vedere con la giustizia da rendere a un bebé insonne che vi fissa in silenzio…
Montalbano, in visita a Genova da Livia, deve offrirci un’idea molto buona di Camilleri, installato a Roma, quando «per tradimento, l’odore, il parlare, le cose della sua terra lo prendevano, lo sollevavano in aria come un fuscello, lo riconducevano, in pochi minuti, a Vigàta». Interrogando al telefono un subordinato sulla sorte di un mafioso scomparso, si sente rispondere che è stato incaprettato: non è per caso che a causa di questa parola intraducibile, una delle poche per le quali ho dovuto fare ricorso a una nota, e dunque tanto profondamente siciliana, che il commissario si sente aspirato di nuovo, questa volta «non solo dall’odore e dal parlare della sua terra», ma anche dalla «imbecillità, ferocia, orrore».
A bon’é ca si mori : per fortuna che c’è la morte, dice un detto riportato da Sciascia in Kermesse. Questo grido del cuore della saggezza popolare risale indietro nel tempo, viene da un sapere di prima della cristianità, è l’accettazione ironica dell’ineluttabile ferocia del destino.

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Ecco pure ciò che contiene la lingua della quale Andrea Camilleri meditava di riappropriarsi, in quelle ore in cui si batteva contro l’ottusa fatalità della palla d’acciaio che, malgrado tutti gli sforzi e l’ingegnosità sfoderati, finisce sempre inghiottita là dove essa era programmata di andare a finire: nelle viscere della macchina che l’ha data alla luce.

Giugno 1998

(traduzione a cura del Camilleri Fans Club)

 



Last modified Saturday, July, 16, 2011